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Quand le Kouign-Amann rencontre le Sirop d'Erable
6 juin 2017

Tournevis, souris et rempotage : installation tumultueuse

Et dans tumultueuse, y'a tueuse.

 

Bon. Je vais te le faire en mode liste de courses, histoire qu'on parte sur un bon pied (voire deux) :

- Oui, je suis bien arrivée.

- Non, je n'ai pas écrit avant parce que ça t'aurait fait peur.

- Oui, ça a été dur.

- Oui, "on va s'en sortir".

- Non, je ne suis toujours pas allée en centre-ville depuis mon arrivée.

- Oui, ça va venir... je crois.

Voilà. Tu peux partir.

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Version longue-et-chiante-mais-les-vrais-savent-que-c'est-là-que-ça-croustille :

La fin des cartons-sacs-emballetavie, le long trajet vers CDG, le vol en équilibre sur une corde (vocale, qui tente de ne pas dérailler), les 54 personnes devant moi au bureau de douane, l'arrivée étrangement blasée sous un soleil que j'ignore royalement (à l'époque j'étais naïve et je ne savais pas que c'était l'une des deux seules fois où je verrai le soleil en 2 semaines), la suée sous mon chapeau EM Strasbourg/dans mon sweatshirt Carleton University/avec ma valise tamponnée Skema.

L'accueil chaleureux de Cathy dans notre nouveau chez-nous. Des clémentines et du thé. Un canapé. Une grosse couette. Un câlin. Deux lettres d'amour cachées dans ma valise, des chocolats fondus, de la lavande en grains. Les yeux qui piquent, la gorge qui s'étrangle. Penser à autre chose. Déballer. Après avoir tant emballé. Déballer tant de bordel et si peu à la fois. Les prévenir que tout va bien. Que je suis heureuse, soulagée, épanouie, alors que j'ai l'enthousiasme d'un tapis de bain et une boule dans le ventre façon dinde farcie. Dire que j'ai sommeil alors que j'ai peur de penser. Penser penser penser. Ne plus penser. Pleure une seule et unique fois. Déglutis, respire.

La culpabilité d'être aussi mal après les avoir tellement bassinés avec le Canada. La culpabilité d'avoir envie de disparaître sous la couette. Ne n'avoir pas envie de sortir. Ne pas sortir, d'ailleurs. De n'avoir pas faim d'autre chose que des bons petits plats de maman. Se foutre un coup de pied au cul pour aller à l'épicerie - sentir les larmes monter en voyant les rayons si dépourvus des bons produits français - se sentir vieille conne de maudite française - ne pas trouver de soupe - finir par acheter du pain, du beurre (salé) et du fromage, et s'en nourrir pendant deux jours parce que rien d'autre ne passe. Se sentir nulle. Ridicule. Pourrie gâtée. Surestimée.

Se sentir profondément blasée, et coupable de l'être, par cette ville qui m'avait pourtant faite vibrer comme aucune autre. Observer le ciel gris et justifier le style marmotte. Écouter Cathy. Tant qu'elle parle, je n'ai pas à parler. À me sortir les mots des tripes. Tant qu'elle parle, j'écoute. Tant qu'elle parle, je peux dire que "je m'installe". Et je m'installe, pas vrai? Pas vrai...?

Revenir au travail et retrouver les automatismes de l'oreille et du clavier, la bienveillance de toujours, la gentillesse que je ne mérite pas. Tenter de me rassurer. Ça ira. Regarde. Ça ira. Prendre le train retour. Déglutis. Respire. Lis. Non, ne lis pas. Les mots de Damasio creusent trop profondément dans ce que tu aimes et qui n'est pas là. Déglutis. Respire. Tu as choisis. Sois heureuse avec ça, c'est toi qui l'a choisi. Ils ont tous mis trop de coeur pour que tu sois heureuse, tu n'as pas le droit de ne pas l'être.

Le blues des expatriés, bla bla bla. Tu as lu à ce sujet, tu sais qu'il doit arriver. Sauf qu'il est déjà là. Envisager de faire demi-tour illico, comme dans les personnages de dessins-animés face au dragon. Envisager de faire demi-tour à court-terme. À moyen-terme. À long-terme. Dramatiser les silences. Haïr les conversations vaines. Se sentir seule au bout du monde, malgré les miracles de la Toile. Savoir que tu dramatises. Se haïr de le savoir. Cercle vicieux.

Et leur parler. Toujours. Elles sont les calques de mes maux, le foulard en soie qui me protège du froid. Elles sont là. Certes, ils sont tous là. Mais elles sont là. Elles savent, elles sentent. Elles ont toujours su. Des deux petites lettres d'amour cachées dans ma valise jusqu'aux sessions de Skype à toute heure. Elles sont au douloureux chevet de ma tortuosité. L'horloge interne complètement fuckée, chaque heure qui passe est un nouvel état d'humeur.

Tisser la toile de la distance. Ne pas les délaisser. Ne pas le laisser filer. Ne me laisse pas filer.

"Prendre de la distance". Quelle expression de merde ironique. Tenter d'en prendre, malgré tout, pour ne pas se faire d'idée, ne pas trop espérer, maintenant que tu es loin. "Tu verras bien".

Se jeter corps et âme dans la confection d'un nouveau cocon : l'appart de Cathy, bien que propice à l'élevage de souris, ne demande qu'un peu d'attention.

Je découvre donc l'usage du marteau et me demande à quel point le pouce est résistant. Je découvre les vis et comprends enfin la révolution que représente la perceuse. Je me transforme en un mix de Cendrillon, Mac Gyver et, progressivement, de Valérie Damidot. De rage, j'investis le marché Jean-Talon et adopte 3 nouvelles Planty. Je fonce au Dollarama avec la détermination d'une ménagère sous acide et fais l'acquisition d'une montagne de pots et, pour la première fois de ma vie, d'un déplantoir. Quelques miroirs et autres stickers muraux plus tard, je m'acharne donc à rendre la maison méconnaissable. Le cocon, il n'y a que ça qui reste. Le mien a été détruit en quelques jours. Il ne reviendra pas. Il faut replanter, bordel. Tout replanter. Faire disparaître les murs blancs. Faire la nique aux souris qui se baladent sur ce qu'elles croient être leur territoire.

Je m'investis également dans pas mal de groupes Facebook montréalais visant à donner ou revendre des meubles et objets en tous genres. Se construire un cocon, ça n'est pas gratuit, alors un peu de partage c'est toujours bon à prendre! Mes violettes sauvages ne demandaient d'ailleurs qu'une deuxième vie! J'en profite pour être obligée de sortir et arpenter des quartiers résidentiels de Montréal que je ne connaissais pas. Hochelaga, Ahuntsic, Plateau. Mon appareil photo ne me suit plus. J'ai la pelicule dans les chaussettes et le moral noirci. Ou l'inverse.

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Banque, internet, assurance sociale... les démarches s'enchainent. Je découvre peu à peu le système administratif québecois. Je fais mon trou. Mes états d'âme s'apaisent au fur et à mesure que mon organisme reprend pied. Je profite de l'absence de Cathy pour aller à mon rythme dans le cocon. Ce weekend, ma moitié a traversé l'océan. Je vais enfin avoir une raison d'aller affronter Montréal. De lui faire aimer ce que j'ai tant aimé. Bref, une raison d'enfin m'installer.

Toi qui lit. Je te keur. Merci.

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Commentaires
T
Le passage le plus émouvant : "faire la nique aux souris" :D
T
Bazoux ma pinette d amuuur <3 j suis dispo quans tu veux, meuh
R
Petite larme en plastique "des deux petites lettres d'amour" glissées dans ta valise !! Courage ! Le plus dur est passé !!
Quand le Kouign-Amann rencontre le Sirop d'Erable
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